Les gens du Balto
Le Balto c'est le bar-tabac-journaux de Joigny-les-Deux-Bouts, une cité pavillonnaire en fin de ligne RER. Il est tenu par Joël Morvier, 62 ans. C'est un sale type, pervers, raciste, antipathique au possible et qui est loin de faire l'unanimité. Alors, quand on découvre son cadavre nu lardé de coups de couteaux, un certain nombre d'habitants de Joigny-les-Deux-Bouts est suspecté et interrogé par un commisaire de police. Lors des interrogatoires, chacun se met à raconter sa misérable vie avec son lot de problèmes de boulot, de lycée, d'argent,de couple, de relations avec les proches... Ainsi, l'auteur revêt les costumes de plusieurs personnages de sexe, âge, origine différents :
- Joël Morvier, dit Jojo, dit Patinoire, l'infâme tenancier du Balto qui cache un terrible secret.
- Jacques dit Jacquot le daron ou coco, père de famille à la dérive, collé à sa télévision depuis qu'il est au chômage et qui rêve de décrocher le gros lot.
- Yéva , dite Mme Yéva, la daronne ou la vieille, horrible bonne femme vulgaire aussi bien physiquement que dans ses propos. Quand elle ne travaille pas, elle passe son temps à rabrouer son fils aîné Tanièl et à humilier son mari, Jacques. En revanche, elle est très protectrice voire étouffante avec son fils cadet Yeznig, handicapé mental.
- Tanièl, dit Tani, Quetur ou bon à rien, s'est fait virer du lycée pour avoir agressé le conseiller d'orientation. Il sort avec Magalie Fournier.
- Yeznig, dit bébé, le gros ou l'handicapé, est déficient mental, il recompte ses dents après chaque repas. Il travaille au CAT. C'est un gros nounours étouffé par sa mère.
- Mélanie Fournier, dite la blonde, la traînée ou la meuf de Quetur, c'est une petite blondasse écervelée, qui se croit irrésistible, une allumeuse qui s'exprime en langage sms et en franglais. Elle sort avec Tanièl et lui en fait baver.
- Nadia et Ali Chacal, dits les jumeaux, les Marseillais ou les chacals. Ils ne se supportent pas et semblent emprunter une voie complètement différente. Nadia la sérieuse, veut faire oublier qu'elle est fille d'immigrée, elle souhaite se faire la plus discrète possible. Ali est un bagarreur, une petite racaille pas bien méchante qui "serrerait" bien volontiers la copine de son ami Tanièl.
Tous détestaient Joël Morvier et ne s'émeuvent pas de la mort de ce dernier.
J'ai beaucoup aimé ce roman de Faïza Guène comme ses deux précédents livres d'ailleurs, "Kiffe kiffe demain" ( 2004) et "Du rêve pour les oufs" (2006).
Elle s'exprime dans un style assez cru, elle est douée pour les dialogues, les répliques cinglantes qui font mouche.
Dans "Les gens du Balto" on retrouve des thématiques communes à ses deux premiers romans : la misère sociale et intellectuelle, le chômage, le racisme, l'immigration, la violence, la place prépondérante de la télévision et son influence sur les gens, l'incommunicabilité entre les êtres, la solitude...
Elle décrit une société très sombre, à la dérive même si quelques touches d'humour viennent parfois émailler son histoire. Les personnages semblent n'avoir plus ou pas de rêves, en tous les cas, ils n'ont pas les moyens de les réaliser. Toutefois, certains veulent s'en sortir et échapper à ce marasme. Ils sont, dans l'ensemble, assez antipathiques et agaçants mais l'auteur parvient à leur apporter une part d'humanité qui les rend tous, à un moment ou à un autre, touchants et émouvants.
" On n'est pas condamné à l' échec ou alors ce serait une putain d'injustice la vie"
Cette vision du monde semble révolter la jeune auteur, on sent sourdre la "colère" en elle et c'est ce que j'apprécie particulièrement dans ce livre. Il n'y a pas de dénonciation ni de démagogie ici, juste un constat des faits, la peinture d'une réalité triste et plutôt glauque.
Il y a quelques années, Faïza Guène m'avait énervée lors d'émissions télévisuelles, je l'avais trouvée agressive, arrogante et peu pertinente, mais j'aime beaucoup ses livres et son ton. Je trouve qu'elle progresse de livre en livre et qu'elle a gagné en maturité. Je lui souhaite autant de succès avec "Les gens du Balto" qu'avec ses précédents romans.
Extraits :
" J'ai mis des mômes au monde mais ça, tout le monde peut le faire. Je dis ça parce que mon gamin m'a appris qu'il avait engrossé par erreur une petite gourde qu'il fréquentait depuis quelques mois. Non mais vous imaginez. J'aurai tout vu moi. Même pas eu le temps d'être père que je vais devenir grand-père. Dix-sept ans qu'il a , le gamin. Quelle génération! Je me demande comment qu'il a fait. Il lui a envoyé le spermatozoïde par sms ou quoi?"
" On est bien ici dans le pays de la vérité et de la justice? La France? Avec un F majuscule comme j'imaginais dans ma jeunesse? ( ...)
Ce qui est sûr, c'est qu'on est peut-être au pays des droits de l'homme mais certainement pas au pays des droits de l'homme pauvre."
Pour lire ma critique de " Du rêve pour les oufs", c'est par ICI!
"Les gens du Balto", Faïza GUÈNE ( Hachette Littératures, 2008)